L’Allemagne et l’accueil de migrants

L'Allemagne fait face à un flux massif de migrants. Pour mieux les accueillir, le pays s'organise et se souvient de son histoire mouvementée.

Après presque un mois d’absence sur le blog, je devrai vous parler de ces dernières semaines, de plages bretonnes, de mer, de sable, de grands-parents qui redécouvrent leur petite-fille, plus si petite que ça. Je devrais vous parler des prochaines semaines qui s’annoncent mouvementées, de cartons à faire, de camion de déménageur, de cuisine à monter, de l’euphorie d’une nouvelle vie, qu’on s’imagine plus agréable. Mais je ne peux pas. Trop de petites choses se sont accumulées en moi ces derniers jours pour que je n’en parle pas. Nous vivons depuis presque 9 ans en Allemagne, mais je ne parle presque jamais ici de notre vie quotidienne, du pourquoi, du comment. Je pensais commencer par un article plus léger, parler de ces petites choses qui nous font encore sourire, comme cette passion nationale pour les saucisses ou les asperges, ou encore de chaussettes dans des sandales. Mais tout ce que j’ai en tête aujourd’hui, ce sont les migrants et l’accueil que l’Allemagne leur réserve. Loin des grands discours politiques et vu de l’intérieur.

L’afflux de migrants à Darmstadt

Tout a commencé par une toute petite brève dans le journal local. Mais il me faut d’abord vous présenter les lieux, sinon vous ne comprendrez pas. Darmstadt est une ville qui attire chaque année de nouveaux arrivants, même le nom de la ville ne dira certainement rien à la majorité des français. Faisons bref : à une trentaine de kilomètres au sud de Francfort, 150 000 habitants, dont 16% d’étrangers. Une ville qui attire en grande partie grâce à son université, parmi les meilleures du pays, et par les grandes entreprises installées dans les environs. Une ville où il est devenu difficile de se loger, trop de nouveaux arrivants, et plus assez d’espace pour construire de nouveaux logements. Une ville qui était encore il y a quelques années sous la surveillance des américains. Il y a 5 ans, plusieurs bases militaires américaines étaient encore établies à Darmstadt. Depuis, les bases ont été démantelées et les baraquements sont restés vides. Des logements susceptibles d’accueillir 3 500 personnes, restés vides pendant des années, le temps que la ville se décide à en faire quelque chose. Et puis, récemment dans le journal, je lis une courte brève. Un des bâtiments est réhabilité en catastrophe, des canalisations d’eau et des lavabos sont installés en vitesse, de manière à pouvoir héberger en urgence 350 migrantes. Des femmes seules, qui ont souvent été malmenées par leur long voyage. Depuis la mi-août, ce sont plus de 1 000 réfugiés qui ont trouvé un abri à Darmstadt, dans un village de tentes, dans deux anciens baraquements américains, dans une ancienne caserne de police, dans une école… La situation est critique, cette année, le Land de Hessen prévoit d’accueillir 58 000 migrants. L’an dernier ils étaient 40 000 et en 2012, ils n’étaient que 5 000. Mais la région s’organise, plus de 80 bâtiments sont en cours d’aménagement, pour offrir un abri décent à ces migrants. Parce qu’on ne peut pas passer l’hiver dans un village de tentes, pas en Allemagne. Le compteur tourne. En octobre, les tentes seront démontées. 4 500 personnes seront alors à reloger.

Décombres de Darmstadt après les bombardements - Source : p-stadtkultur.de
Décombres de Darmstadt après les bombardements – Source : p-stadtkultur.de

Les migrants, ou quand l’histoire se répète

La population elle aussi s’organise, des associations se montent pour venir en aide aux migrants. Des dons arrivent en masse, des bénévoles aident les migrants dans leurs démarches administratives ou dans leur recherche de logement. Des cours d’allemand et des aides aux devoirs sont organisés. Un festival de films et des concerts permettront de récolter l’argent nécessaire à la prise en charge des migrants. Il est même possible de parrainer un migrant… J’explique cette générosité par l’histoire mouvementée de l’Allemagne. Vous la connaissez toutes, pas besoin de faire un cours d’histoire. Les vagues de migrants qui ont fui l’Allemagne sont dans tous nos livres d’histoire. Les victimes de la Shoah y figurent également en bonne place. Ce qu’on oublie trop souvent, ce sont les bombardements de 1945, les gentils américains qui ont massacré les méchants allemands. Le père d’un ami a vécu ces bombardements, et un jour, on en a parlé. Un rare moment. En 1944, il n’était qu’un enfant. Il ne peut donc rien me dire de la montée du nazisme, de ce que la population savait ou non des camps de concentration. Il m’a simplement raconté la nuit du 11 septembre 1944, quand Darmstadt a été quasiment rasée par 250 000 bombes incendiaires. Il m’a raconté le bruit, la peur, la cave où il s’était réfugié, le silence entre deux vagues de bombes, les fumées. Il m’a raconté sa survie, grâce à un lambeau de tissu trempé dans une flaque d’eau qui l’a protégé des gaz toxiques. Il m’a raconté ceux qui n’ont pas osé sortir des caves, par peur d’une nouvelle attaque et qui ont fini par y mourir intoxiqués. Il m’a raconté la fuite sur les collines et la vue sur la ville qui a continué de brûler pendant plusieurs jours. Puis la vie dans les décombres, la faim, le froid, les doutes sur l’avenir et l’envie d’y croire quand même. Il n’était qu’un enfant, c’est aujourd’hui un vieux monsieur. Mais comme lui, l’Allemagne se souvient de la difficulté de vivre sous les bombardements et des dangers de l’extrémisme. L’Allemagne se souvient de ces gens qui tentaient de fuir le communisme de la DDR, en y laissant bien souvent leur vie. L’Allemagne n’a pas oublié ce que c’est de vouloir offrir un avenir à ses enfants. Que ce soit en fuyant le pays ou en y restant malgré tout.

Darmstadt après les bombardements de 1944 - Source : p-stadtkultur.de
Darmstadt après les bombardements de 1944 – Source : p-stadtkultur.de

Et moi là-dedans ?

Pour une fois sur ce blog, j’écris en mon nom. J’ai grandi dans le Pas-de-Calais. Je venais de passer mon bac lorsque le camp de réfugiés de Sangatte a été démantelé. Je me souviens de ces questions, pourquoi fuir son pays, pourquoi essayer de passer illégalement une frontière, pourquoi se cacher dans un camion, mais aussi comment vivre dans une ville qui croule sous l’afflux des migrants ? J’ai grandi dans une région durement touchée par les deux guerres mondiales. Les sorties scolaires, pour nous, c’était Vimy, Lorette, les grands cimetières et les tranchées. Ma famille, comme toutes les familles de la région, a été marquée par la guerre. Un matricule tatoué sur le bras, une réquisition de ferme, un bâtiment rasé par la guerre, un mari devenu soldat, mais dans ma famille, on ne parle pas de ces choses-là. Ado, j’ai passé un été entier à m’informer sur la seconde guerre mondiale, sur la Shoah, sur la déportation. A lire des témoignages, à essayer de comprendre. J’ai choisi de finir mes études en Allemagne, un peu par hasard. Si les frais de scolarité avaient été moins élevés, j’aurais certainement atterri aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. En arrivant en Allemagne, j’ai découvert bien des choses qui n’étaient pas dans mes livres d’histoire ou de langue étrangère. Un pays que j’ai appris à aimer, un pays qui ne tourne pas le dos à son histoire. Un pays qui oblige tous ses lycéens à visiter d’anciens camps de concentration, pour que cela ne se reproduise jamais. Un pays qui a tellement peur qu’on l’accuse de nationalisme que les drapeaux allemands ne sont de sortie que pour les grands matchs de foot. Un pays qui lutte face à une poignée de néo-nazis. Un pays qui fait face à des problèmes d’intégration des étrangers, mais qui n’est pas tombé dans le piège des banlieues-ghettos. Un pays qui a la natalité en berne, et qui a pris conscience de l’importance des migrants pour sa survie, tout simplement. Aujourd’hui, je suis fière que l’Allemagne soit le pays européen le plus généreux envers les migrants.

Soldats américains après les bombardements de Darmstadt
Soldats américains après les bombardements de Darmstadt – Source : digam.net

Alors en faisant nos cartons pour déménager, en trier nos affaires, je sais où donner notre surplus. Tout près de chez nous, il y a des enfants qui ont besoin de vêtements, de chaussures, de jouets. Camomille ira peut-être à l’école avec eux, dans quelques années. A nous, parents, familles, amis, profs et autres connaissances, de lui expliquer le monde, l’histoire, l’injustice et la tolérance.

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